Une BX pas comme les autres : d’où vient la légende « GTI 16v Turbo » ?
On lit régulièrement sur les forums des références à une mystérieuse « Citroën BX GTI 16v Turbo ». Certains parlent d’une série limitée, d’autres d’une version étrangère, d’autres encore de préparations d’époque. Dans les faits, Citroën n’a jamais commercialisé en grande série une BX GTI 16 soupapes turbocompressée.
En revanche, trois réalités se télescopent :
- la BX GTI 16 soupapes de série, atmosphérique, bien réelle ;
- la BX 4TC de Groupe B, turbo, quatre roues motrices, quasi expérimentale ;
- les préparations turbo artisanales ou semi-professionnelles sur base de moteur XU9J4.
C’est la superposition de ces trois histoires qui a donné naissance, avec le temps, au mythe de la « BX GTI 16v Turbo ». Plutôt que de casser le mythe, autant l’analyser : que valait vraiment la BX 16 soupapes, que donnait son moteur une fois suralimenté, et pourquoi cette sportive est-elle aujourd’hui largement oubliée ?
Retour dans les années 80 : la BX veut jouer dans la cour des GTI
Au milieu des années 80, le marché des compactes sportives est en ébullition. Golf GTI, 205 GTI, R11 Turbo, Kadett GSi : tout le monde veut sa bombinette. Citroën, déjà engagé dans cette bataille avec la BX GTI 8 soupapes, veut aller plus loin.
La réponse arrive en 1987 : la Citroën BX 19 GTI 16 soupapes. Même plate-forme, même silhouette taillée à la règle, mais sous le capot un moteur beaucoup plus sérieux, directement inspiré de la compétition.
Sur le papier, la recette est claire :
- un 4 cylindres 1,9 l moderne, culasse alu à 16 soupapes ;
- 158 ch à environ 6500 tr/min (et même 160+ sur certains bancs) ;
- un poids contenu, autour de 1050–1100 kg selon équipements ;
- la fameuse suspension hydropneumatique, signature Citroën.
Résultat : une berline familiale à la ligne anguleuse qui vient titiller des compactes beaucoup plus « sexy » sur la fiche technique. Pourtant, l’histoire ne retiendra pas la BX 16v au même niveau que les 205 GTI, Golf GTI ou R5 GT Turbo. Pourquoi ?
Focus sur le cœur de la bête : le moteur XU9J4
La BX GTI 16 soupapes reçoit le bloc XU9J4, un moteur clé pour PSA à la fin des années 80 et au début des années 90.
Quelques caractéristiques intéressantes :
- Cylindrée : 1905 cm³, architecture XU bien connue chez Peugeot-Citroën ;
- Culasse 16 soupapes : 4 soupapes par cylindre, deux arbres à cames en tête ;
- Alimentation : injection électronique Bosch ;
- Puissance : environ 160 ch en configuration d’origine ;
- Régime : zone rouge au-delà de 7000 tr/min, caractère rageur dans les tours.
C’est le même « fond de moteur » que l’on retrouvera sur la Peugeot 405 Mi16 ou, plus tard, sur certains blocs préparés en compétition. Ce quatre cylindres a deux qualités majeures pour un préparateur :
- une bonne base respirante grâce à la culasse 16 soupapes ;
- une architecture solide qui accepte une suralimentation modérée avec des renforcements adaptés.
On comprend vite pourquoi certains ont eu l’idée d’y greffer un turbo. Avant d’y venir, restons un instant sur la BX 16v d’origine.
BX GTI 16 soupapes : une vraie sportive, mais mal comprise
Sur route, la BX 16v n’a rien d’une GTI timide. Le moteur prend des tours avec envie, la poussée est linéaire mais soutenue, et les performances sont tout sauf ridicules pour l’époque :
- 0 à 100 km/h en environ 8 s ;
- plus de 215 km/h en pointe ;
- reprises correctes même sur les rapports longs.
L’hydropneumatique apporte une double personnalité. En mode balade, la BX flotte sur les irrégularités, absorbe les dos d’âne comme peu de voitures modernes. En conduite dynamique, la caisse se stabilise, le roulis est contenu, le train avant précis.
Mais ce caractère atypique a aussi joué contre elle :
- une image de « voiture de père de famille » associée à la BX classique ;
- une esthétique clivante, très anguleuse, loin du côté « jouet » d’une 205 GTI ;
- une mécanique jugée complexe, surtout à cause de l’hydraulique.
Résultat : la BX GTI 16 soupapes a existé dans l’ombre, souvent mal entretenue, parfois sacrifiée pour des pièces. De quoi alimenter encore plus sa relative invisibilité actuelle.
BX 4TC : la version turbo… mais pas celle que vous croyez
Quand on parle de BX turbo d’usine, c’est en réalité à la BX 4TC qu’il faut penser. Et là, on change totalement de monde.
La BX 4TC, c’est :
- un projet aligné en Groupe B en rallye ;
- une quatre roues motrices avec long porte-à-faux avant ;
- un 2,1 l turbo (moteur dérivé des blocs Chrysler-Simca), et non un XU9J4 ;
- une production très limitée pour homologation, quelques centaines d’exemplaires.
La 4TC n’a jamais été une version routière dérivée de la GTI 16v. C’est plutôt l’inverse : Citroën a tenté d’habiller une architecture de Groupe B avec une allure vaguement inspirée de la BX. Sportivement, l’aventure a tourné court, la voiture était lourde, difficile à mettre au point, et elle n’a pas marqué les classements.
Mais dans l’imaginaire collectif, BX + turbo + sport = BX 4TC. Ajoutez à ça la GTI 16v de série, vous obtenez un cocktail parfait pour forger la fameuse « GTI 16v Turbo »… sans qu’elle n’ait jamais existé au catalogue.
Les préparations XU9J4 Turbo : quand les sorciers se lâchent
Si Citroën n’a jamais proposé de BX GTI 16v Turbo de série, plusieurs préparateurs et particuliers s’en sont chargés. Car le XU9J4 est un moteur qui se prête bien à la suralimentation, à condition de travailler proprement.
Les approches les plus courantes sur base de BX GTI 16v :
- montage d’un turbo basse pression (0,3 à 0,5 bar) avec gestion adaptée ;
- renforcement de l’embiellage (bielles, pistons, coussinets) pour encaisser la charge ;
- optimisation de la refroidissement (radiateur, échangeur air/air) ;
- ligne d’échappement libérée, souvent collecteur spécifique.
Les puissances visées ? La plupart des préparations sérieuses tournent entre 200 et 260 ch, avec des valeurs de couple bien plus généreuses que l’origine. Sur une auto qui dépasse à peine la tonne, le résultat est… disons « vivant ».
Évidemment, on est loin des standards de fiabilité d’une voiture de grande série. À cette époque, pas d’ECU programmable plug & play ni de cartographie en trois clics. Chaque auto est un cas particulier, avec son lot de mises au point, parfois d’essais-erreurs, souvent d’embrayages martyrisés.
C’est précisément ce genre de projets qui a entretenu la rumeur d’une BX GTI 16v Turbo officieuse : suffisamment d’exemplaires préparés pour que le bruit circule, pas assez pour qu’une base de données officielle puisse les référencer.
Un potentiel technique sous-estimé
Si l’on regarde la BX GTI 16 soupapes avec des yeux d’ingénieur plutôt que de nostalgique, trois points ressortent.
D’abord, le rapport poids/puissance est intéressant. Avec environ 160 ch pour un peu plus d’une tonne, on est très proche des références de l’époque, parfois mieux loti que certaines allemandes plus lourdes.
Ensuite, la plate-forme. Le train avant est précis, le train arrière à bras tirés peut être joueur si on le provoque, et l’hydropneumatique permet d’exploiter un grip étonnant sur mauvais revêtements. Une voiture qui ne montre pas tout sur un tour de pâté de maison, mais qui gagne à être poussée.
Enfin, le bloc XU9J4 en lui-même : déjà performant en atmosphérique, il montre vite qu’avec un peu de pression et des internes adaptés, il peut aller beaucoup plus loin. Il n’a pas eu le même destin « tuning massif » qu’un SR20DET ou qu’un 4G63, mais la base n’a pas à rougir.
Pourquoi la BX GTI 16v est-elle restée dans l’ombre ?
Plusieurs facteurs expliquent la relative invisibilité de cette sportive aujourd’hui.
- Une image brouillée : la BX est d’abord perçue comme une familiale diesel avec suspensions molles. Difficile de lui coller une aura de sportive pure et dure.
- Une concurrence interne : la 205 GTI et les GTI Peugeot en général ont capté l’attention des passionnés PSA, autant en neuf qu’en collection.
- Une complexité d’entretien perçue : l’hydraulique fait peur, alors qu’un système sain et entretenu reste très fiable. Mais la rumeur fait son travail.
- Une faible survie : entre casse, corrosion, négligence et cannibalisation de pièces, peu de BX 16v ont traversé les décennies dans un état correct.
Résultat : alors que certaines GTI sont devenues des stars de rassemblements, la BX 16 soupapes reste une curiosité pour connaisseurs. Et les rares exemplaires réellement bien préparés en turbo sont encore plus confidentiels.
Au volant aujourd’hui : que vaut une BX GTI 16v (turbo ou non) ?
Une BX GTI 16 soupapes en bon état, stock, offre encore aujourd’hui une expérience de conduite atypique. L’attaque de pédale est franche, le moteur reprend bien au-dessus de 4000 tr/min, et la tenue de route sur route bosselée ridiculise encore certaines autos modernes trop fermes.
La direction reste légère, l’ambiance à bord est très années 80 : planche de bord anguleuse, boutons partout, compteurs à l’ancienne. Ce n’est pas une voiture qui flatte par sa finition, mais par sa cohérence technique.
En version turbo préparée, on change de registre. Le caractère devient plus brutal, le couple arrive plus tôt, parfois violemment si la cartographie est approximative. Le châssis peut suivre, mais il faut alors s’assurer que :
- les freins sont largement dimensionnés (disques, plaquettes performantes, liquide haut point d’ébullition) ;
- la suspension est adaptée (sphères en bon état, tarages éventuellement revus) ;
- la transmission supporte l’augmentation de couple.
Mal réglée, une BX 16v Turbo devient une caricature : piégeuse, difficile à exploiter, et mécaniquement fragile. Bien pensée, elle montre à quel point la base pouvait encaisser un niveau de performance bien supérieur au modèle d’origine.
Intérêt actuel : youngtimer de niche ou vraie opportunité ?
Sur le marché des youngtimers, la BX GTI 16 soupapes reste étonnamment accessible comparée à une 205 GTI ou une Golf GTI de même époque. Sa cote progresse, mais reste en retrait des icônes plus médiatisées.
Pour un passionné éclairé, c’est à la fois un avantage et un avertissement :
- Avantage : pour un budget encore raisonnable, on peut s’offrir un moteur noble, une technologie de suspension unique, et une auto différente de ce qu’on voit à chaque rassemblement.
- Avertissement : il faut être prêt à assumer un entretien spécifique, à chercher certaines pièces, et à jongler avec une communauté plus réduite que celle des GTI « starisées ».
Quant à une vraie BX GTI 16v Turbo bien préparée, c’est aujourd’hui une pièce de niche. On ne parle pas de série limitée officielle, mais d’exemplaires uniques ou de petites séries de préparateurs. Leur valeur dépend entièrement :
- de la qualité de la préparation (factures, documentation, réputation du préparateur) ;
- de l’état de conservation ;
- du niveau de finition (auto utilisable sur route ou strictement pistarde).
Ce n’est pas une voiture à acheter par nostalgie floue ou par impulsion. C’est un choix rationnel de passionné qui sait pourquoi il la veut, et ce que cela implique.
Ce que cette « sportive oubliée » dit de Citroën et des années 80
En filigrane, l’histoire de la BX GTI 16 soupapes – et de sa version turbo fantasmée – raconte quelque chose de la culture Citroën et de l’époque.
D’une part, Citroën a tenté de marier innovation de confort et performances. L’idée d’une berline à suspension hydropneumatique, capable de cruiser en douceur et d’attaquer un col, est très cohérente avec l’ADN de la marque. Sur ce point, la BX 16v est une réussite technique, même si l’image n’a pas suivi.
D’autre part, la curiosité autour d’une version turbo souligne à quel point les années 80 étaient une décennie d’expérimentation mécanique : Groupe B, turbos brutaux, petites séries, préparateurs de tous horizons. La BX, par sa diffusion massive et par sa mécanique commune à d’autres modèles PSA, a fourni une base accessible à ceux qui voulaient sortir des sentiers battus.
Au final, la « Citroën BX GTI 16v Turbo » n’existe pas dans les brochures Citroën, mais elle existe bel et bien dans l’imaginaire des passionnés, nourrie par quelques réalisations bien concrètes. Et ce n’est pas le moindre de ses charmes : elle reste une sportive discrète, technique, un peu à contre-courant, exactement le genre d’auto qui mérite qu’on s’y intéresse avant qu’il ne soit trop tard.
