Pourquoi la R12 Gordini est devenue une icône des rallyes
Dans l’imaginaire collectif, quand on parle de sport auto français des années 70, quelques noms reviennent systématiquement : Alpine A110, R8 Gordini… et la Renault 12 Gordini. Moins radicale que l’Alpine, plus moderne que la R8, la R12 Gordo a surtout marqué une transition : celle d’une berline familiale transformée en véritable machine de spéciale.
Commercialisée à partir de 1970, la R12 Gordini n’était pas seulement une série limitée « lookée ». C’était une vraie base de compétition client, pensée pour le rallye, les courses de côte et les coupes monomarques. Et au cœur du dispositif, il y avait son moteur, dérivé d’un bloc de grande série, mais largement optimisé par Amédée Gordini et les ingénieurs Renault.
Un moteur de base “civil” profondément revu
La R12 Gordini embarque un quatre cylindres en ligne dérivé du bloc type 807, 1565 cm³ au départ, puis porté à 1605 cm³. Ce moteur trouve son origine dans la Renault 16 TS, une berline plutôt bourgeoise, loin de l’idée d’une arme de rallye. C’est précisément ce qui fait l’intérêt technique du projet : transformer un moteur fiable et polyvalent en moteur sportif pointu.
Sur le papier, les chiffres ne semblent pas spectaculaires par rapport aux standards actuels :
- 4 cylindres en ligne, 1 565 puis 1 605 cm³
- Alimentation par deux carburateurs Weber double corps (souvent des 45 DCOE selon les configurations)
- Environ 113 ch DIN à 6 250 tr/min en version route
- Couple voisin de 13,5 mkg à 4 000 tr/min
- Régime maximal utilisable autour de 7 000 tr/min en configuration d’origine
Mais replacé dans le contexte du début des années 70, sur une berline traction de moins de 1 000 kg, c’était tout sauf anodin. On est sur un rapport poids/puissance très performant pour une voiture de grande diffusion légèrement préparée.
Les principales spécificités techniques du moteur R12 Gordini
Ce qui différencie réellement le moteur de la R12 Gordini d’un bloc de grande série, ce n’est pas une technologie révolutionnaire, mais une accumulation de détails bien pensés. Un exemple typique de préparation “factory” intelligente.
Culasse et taux de compression optimisés
La culasse de la R12 Gordini est spécifique, avec des conduits retravaillés et un dessin de chambres de combustion adapté à une utilisation sportive. Le taux de compression est relevé par rapport aux versions plus sages :
- Augmentation du taux de compression pour gagner en rendement et en couple
- Conduits d’admission et d’échappement mieux profilés pour favoriser le remplissage
- Soupapes de diamètre supérieur aux versions standard (selon les évolutions)
Résultat : un moteur plus vif, qui prend des tours avec facilité une fois passé un certain régime, tout en restant exploitable sur route.
Distribution et arbre à cames plus agressifs
Le choix de l’arbre à cames est un élément central du caractère moteur. Sur la R12 Gordini, la loi d’ouverture est beaucoup plus agressive que sur une berline classique :
- Temps d’ouverture des soupapes allongés
- Croisement augmenté pour améliorer le remplissage à haut régime
- Montée en régime plus franche dès que l’on dépasse la zone médiane du compte-tours
Concrètement, cela donne un moteur qui peut paraître un peu creux en bas, mais qui s’anime franchement passé les 3 500 tr/min. Sur route de montagne ou en spéciale, c’est précisément ce qu’on cherche : un bloc qui supporte d’être cravaché sans faiblir.
Alimentation : la signature des doubles Weber
Impossible d’évoquer le moteur de la R12 Gordini sans parler de ses carburateurs Weber double corps. Non seulement pour le symbole, mais pour l’effet réel sur le comportement moteur :
- Deux Weber double corps en montage latéral
- Réglages fins possibles (gicleurs, tubes d’émulsion, cornets, etc.)
- Réponse instantanée à l’accélérateur une fois bien réglés
C’est aussi ce qui donne à la R12 Gordini ce son caractéristique, mélange d’aspiration rageuse et de grondement métallique à l’échappement. En rallye, cet ensemble Weber + arbre à cames sport transformait complètement la voiture : accélérations plus franches, reprises plus vigoureuses et possibilité de tenir des régimes élevés sur de longues portions.
Bas moteur renforcé et fiabilisé
Un moteur de rallye n’a pas le droit de casser à la première spéciale. D’où le travail réalisé sur le bas moteur :
- Vilebrequin robuste, souvent équilibré plus finement sur les versions compétition
- Bielle et pistons dimensionnés pour supporter les hauts régimes répétés
- Lubrification améliorée, avec une attention particulière portée au carter et à la pompe à huile
Sur les versions engagées en rallye, certains préparateurs renforçaient encore la lubrification (déflecteurs dans le carter, pompes plus performantes) pour éviter les déjaugeages en appui prolongé. À l’époque, beaucoup de pilotes amateurs se lançaient avec leur R12 Gordini quasiment d’origine, simplement fiabilisée sur ces points sensibles.
Traction avant, moteur performant : un combo atypique pour l’époque
La plupart des voitures de rallye mythiques des années 70 sont des propulsions : Alpine A110, Escort RS, BMW 2002… La R12 Gordini, elle, reste fidèle à la plateforme de la R12 : une traction avant.
Avec environ 113 ch sur les roues avant (et beaucoup plus en version Groupe 2 préparée), il fallait un châssis et une transmission à la hauteur :
- Différentiel adapté pour encaisser le surcroît de couple
- Arbres de transmission renforcés sur certaines versions compétition
- Répartition des masses revue avec le moteur monté longitudinalement en porte-à-faux avant
Ce choix technique donnait à la R12 Gordini un comportement très particulier en rallye : train avant extrêmement sollicité, tendance au sous-virage en entrée de courbe mais excellente motricité sur sol glissant. Bien exploité, ce package se révélait redoutable sur les routes sinueuses et les spéciales mixtes.
R12 Gordini en compétition : du rallye à la coupe monomarque
Pour comprendre pourquoi ce moteur est devenu une icône, il faut le replacer dans le contexte sportif. Renault proposait avec la R12 Gordini un véritable “ticket d’entrée” dans le monde du rallye pour les privés :
- Voiture achetée en concession avec des performances déjà très honorables
- Catalogue de pièces compétition (suspensions, freins, éléments moteur) directement fourni par Renault et les préparateurs partenaires
- Participation possible à des coupes monomarques et à des rallyes nationaux avec un budget raisonnable
La mécanique, suffisamment robuste, permettait de multiplier les engagements sans devoir ouvrir le moteur tous les deux week-ends. C’est là que le bloc Gordini faisait la différence : un compromis réussi entre performance et endurance.
Les versions préparées pour le Groupe 2 pouvaient atteindre des puissances largement supérieures à la configuration route, selon les règlements et les préparateurs. On évoque régulièrement des puissances dépassant les 140 ch, voire plus, avec des arbres à cames très pointus et des carburateurs encore plus généreux.
Une philosophie moteur : faire plus avec l’existant
La magie de ce moteur ne repose pas sur une architecture exotique, mais sur une logique très “école française” de l’époque : partir d’un bloc de grande diffusion et en tirer le maximum par l’optimisation.
Si on compare avec les préparations modernes, on retrouve les mêmes grands principes :
- Optimisation du remplissage (culasse, conduits, admission)
- Hausse du taux de compression pour améliorer le rendement
- Réglage de la distribution pour privilégier le haut régime
- Renforcement des éléments sensibles pour tenir les contraintes
La différence, c’est que tout se faisait en mécanique pure : pas d’électronique, pas de cartographie à la volée, pas de turbo à régler au dixième de bar. Chaque cheval supplémentaire se gagnait lime en main, sur le banc et sur la route.
Ce que ce moteur nous apprend aujourd’hui
À l’ère des blocs downsizés turbocompressés et des hybrides, on pourrait se demander : pourquoi s’intéresser encore au moteur de la R12 Gordini ? Techniquement, il reste intéressant à plusieurs niveaux.
D’abord, c’est un excellent cas d’école de préparation atmosphérique :
- Comment tirer 70+ ch au litre sans suralimentation, avec une culasse 8 soupapes
- Comment trouver un compromis entre couple à mi-régime et puissance en haut
- Comment fiabiliser une base de série pour un usage compétition
Ensuite, il illustre très bien la philosophie “client-racing” : une marque qui propose un moteur déjà bien né, facilement amélioré par les passionnés, au lieu de réserver sa technologie aux seuls modèles d’exception.
Ce qu’il faut surveiller sur un moteur de R12 Gordini aujourd’hui
Si tu envisages de t’intéresser de près à une R12 Gordini, ou à un moteur issu de cette lignée, quelques points techniques méritent une attention particulière :
- Usure de la distribution : arbre à cames et poussoirs sensibles en cas de lubrification négligée ou d’huile inadaptée.
- Culasse : fissures possibles avec le temps et les surchauffes, surtout sur des blocs ayant fait de la compétition.
- Carburateurs Weber : sensibles aux mauvais réglages, aux prises d’air, et à l’encrassement. Bien réglés, ils transforment la voiture ; mal réglés, ils la rendent inexploitable.
- Bas moteur : vérifier les jeux de fonctionnement, l’état du vilebrequin et des bielles sur un moteur qui a pris des tours pendant 50 ans…
La bonne nouvelle, c’est que la communauté de passionnés est très active, et que la plupart des pièces critiques restent trouvables, en neuf ou en refabrication. De nombreux spécialistes savent encore régler ces moteurs “à l’ancienne”, au banc et à l’oreille.
Une personnalité moteur bien marquée
Sur route, un moteur de R12 Gordini ne se conduit pas comme un 1.6 moderne. Il demande un minimum d’engagement :
- En dessous de 2 500 tr/min, le moteur reste poli, presque timide.
- Vers 3 500 tr/min, il commence à se réveiller franchement.
- Au-delà de 5 000 tr/min, il prend une autre dimension : son, poussée, caractère.
C’est ce contraste qui fait son charme. On peut cruiser tranquille, mais dès que l’on garde le moteur dans la bonne plage de régime, on retrouve le tempérament d’une vraie voiture de rallye. Le tout avec un feeling mécanique brut, sans filtre électronique entre le pied droit et les roues avant.
R12 Gordini : un pont entre deux époques
Le moteur de la R12 Gordini symbolise un moment charnière de l’histoire auto sportive :
- Fin de l’ère des petites propulsions ultra légères “à l’ancienne”
- Transition vers des berlines de grande série transformées en voitures de course
- Préfiguration de ce que deviendront plus tard les GTI et les compactes sportives
Techniquement, il ne s’agit pas du moteur le plus sophistiqué de son époque, mais probablement de l’un des plus cohérents dans son cahier des charges : être fiable, accessible, et suffisamment performant pour emmener des pilotes amateurs au départ des plus beaux rallyes régionaux.
Et c’est là que réside sa vraie force. Un moteur qui ne se contente pas de briller sur une fiche technique, mais qui a effectivement passé des années à hurler entre des talus, sur des routes de montagne, sous la pluie, la neige ou la poussière. Une mécanique faite pour rouler vite, longtemps, et permettre à tout un pan de la génération “Gordini” d’entrer dans le monde du sport auto.
